Elle va par des ruelles étroites et ensoleillées qui s’ouvrent parfois sur de larges brisures bleues et maritimes.
La ligne d’horizon est une vibration lointaine, à peine distincte, une buée, une condensation au large de ce muret blanc qui borde le quai, recouvert d’inscriptions hâtives et brouillées.
Sa main doucement glisse sur les pierres rugueuses.
Elle s’immobilise par instants, regarde autour d’elle se défaire la ronde stridente des mouettes, s’attarde dans la rue, attentive parfois à quelque impression fugace ou au hasard qui découvre une tache colorée sur une muraille sombre, inscriptions à demi-effacées de productions locales…Traces et empreintes de la vieille ville. De temps à autre, s’interroge devant quelque Vierge ou Saint protecteurs enchâssés dans de petites niches au-dessus des portails vétustes. Souvent aussi, demande son chemin aux passants qu’elle croise ou consulte des guides périmés.
Elle a recouvert les murs de sa chambre de grandes cartes colorées, marines et géologiques qui sondent les profondeurs et déploient comme de larges surfaces épidermiques recouvertes de signes et de légendes obscures. L’île devient livre ouvert, alphabet: montagnes, côtes et rivières, noms de régions en palimpseste, lieux-dits, trames d’histoires locales allusives de la langue retrouvée, dans la saveur brève des sons. Elle découvre la ville comme un fleuve sonore, comme si elle remontait vers la source d’un orage blanc. Une rumeur confuse qui fait vibrer l’espace. Elle s’éveille à cette sensation neuve et ancienne, et renouvelée, entourée, absorbée par ces réminiscences diffuses qu’elle écarte doucement; comme retenue aux bords de l’instant qui l’avait reconduite ici. Elle dit à haute voix: « je me souviens », cette lumière douce qui irise la colline, je me souviens, le reflux de la vague qui s’ourle encore et à nouveau, cette mémoire… c’est cela que je veux. Nulle contrainte en cette présence réconciliée, acquise aux mouvements de variations impalpables. Et la matière du temps rendue tangible en un réseau de transparences, une texture secrète comme exprimée d’un regard de chair.
Un oeil-source, l’avait-il guidée ? Traversant les ténèbres, les espaces lacunaires de l’origine et qui irisait toute chose d’une sorte de vibration colorée, poudreuse. Des tâches fauves de lumière laiteuse jouaient sur le sol. Elle pensa que très loin, dans l’antarctique se levaient des aurores boréales, ces hautes falaises d’images abruptes qui ouvraient dans l’espace de pures scènes visuelles. Ici, invisible, au contraire, le seul cri bref d’un oiseau, par instant, révélait sous l’heure solaire de larges fractures d’ombre. Ce dont elle revenait encore et encore, et dont elle s’éveillait sans cesse.
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